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Raymond Tournier

 

 

(…) A la déclaration de guerre :
J’avais 14 ans, je vivais chez mes parents au village des « Forêts », dans la commune de Bouëx. Mes parents étaient agriculteurs, entrepreneurs de battages et de labours. Mon frère (de 15 ans mon aîné) habitait avec nous, ainsi que sa femme et sa fillette, il était employé à la fonderie de Ruelle. Quant-à ma sœur (mon aîné de 12 ans), habitait la gendarmerie de Brigueuil. Scolarisée, je prenais régulièrement des cours particuliers dirigés par Madame CHABASSE à Bouëx.  A la déclaration de guerre, je fus très frappée par les avis de mobilisation que le garde champêtre affichait sur les murs de notre petit village. Les habitants se rassemblaient et parlaient avec inquiétude de la possibilité d’une guerre. Ils évoquaient les souvenirs de la Grande Guerre qui me semblaient très lointains. Je pensais à la longue liste des morts sur le monument de la commune devant lequel, chaque 11 novembre nous déposions des bouquets de fleurs en chantant la Marseillaise. J’étais trop jeune pour avoir un jugement personnel sur la situation mais j’étais très triste et j’avais peur, car mon frère allait partir à la guerre.(…) De plus, nous avions peu d’informations, les voisins venaient écouter la T.S.F. chez mes parents. L’avance de l’armée allemande en France me terrorisait, je n’acceptais pas l’éventualité d’une défaite française. C’était pourtant la débâcle. Des troupes françaises avec leur Etat Major stationnèrent à la ferme. Notre maison fut réquisitionnée pendant environ 48H. Ces militaires partaient en direction du Sud, ils étaient très fatigués et ne répondaient pas à nos questions. Pour moi, l’Armistice représentait la fin de la guerre mais, dans une situation très pénible puisque les Allemands arrivaient en Charente.

(…) Puis, se fut l’arrivée de PETAIN. Dans un premier temps, dû au manque d’informations objectives (celles-ci étant censurées par les Allemands), nos voisins, en particulier les Anciens Combattants de la guerre 14-18, s’attachèrent aux paroles du Maréchal PETAIN comme à une bouée de sauvetage. Mon père n’y croyait pas et se disputait souvent avec un des voisins dont le souvenir de Verdun le disposait à une confiance inconditionnelle pour le Maréchal couvert de gloire. J’étais trop jeune pour porter un jugement  personnel à ce drame. L’aura du Maréchal avait une influence certaine sur une population accablée. (…) Nous n’avons pas entendu l’appel De GAULLE car, à cette période, nous n’écoutions pas les émissions de radio Londres, mais nous avons su qu’un officier nommé De GAULLE réfugié en Angleterre, continuait le combat. Nous nous sommes attachés à cet espoir ; plus tard, nous avons réussi à capter radio Londres, c’était un réconfort inespéré. Dès la connaissance de l’appel du Gl. De GAULLE, sans en connaître exactement les termes, j’ai su que nous n’étions plus abandonnés et que des moyens existaient pour faire partir les Allemands.

(…) La vie quotidienne changea radicalement. Les Allemands patrouillaient sur toutes les routes de la commune. Ils s’imposaient dans les maisons en demandant du ravitaillement, parfois se servaient. Il fallait camoufler les produits de la ferme. Les réquisitions d’animaux étaient fréquentes, surtout lorsque le Maire collaborait avec l’occupant. Nous n’avions pas d’essence pour la voiture, cachée dans une grange. Des bons d’essence nous étaient distribués très parcimonieusement par la mairie pour les besoins du tracteur. Il fallait avoir recours à la ruse pour dissimuler et soustraire le plus possible de produits pour en disposer personnellement et ne faire profiter que la famille et les amis. Certains producteurs pratiquaient le marché noir, ce qui provoqua la méfiance chez les agriculteurs redoutant les dénonciations. Nous devions nous conformer aux lois allemandes avec toutes les contraintes qu’elles nous imposaient. Dès que nous apprenions un arrivage ou une distribution de ravitaillement dans un magasin, je partais en vélo munie des tickets de la famille pour de longues heures dans une file d’attente, souvent sans rapporter la moindre nourriture.


A l’école, le chant du Maréchal était obligatoire. On demandait aux élèves d’écrire au Maréchal avec la promesse d’une réponse. Je fus très choquée par la disparition du drapeau français, remplacé par la Croix gammée et les couleurs allemandes. Toutes les valeurs qui m’avaient été inculquées étaient anéanties. Les Allemands défilaient fièrement dans nos rues, au pas cadencé en chantant à pleine voix.

(…) La résistance :
Le terme « résistance » n’existait pas encore. Mon refus fut spontané, refus de me soumettre aux lois imposées par les occupants que nous appelions « les Boches », refus d’accepter les humiliations quotidiennes, refus d’accepter la croix gammée et les couleurs allemandes à la place du drapeau français. J’éprouvais un sentiment de grande colère contre les lâches qui dénonçaient. Pour moi, l’inacceptable était le fait qu’on ne se défendait pas, la seule possibilité de se défendre était de s’opposer aux occupants par tous les moyens qui se présentaient : Mon caractère un peu frondeur ne choquait pas ma famille qui s’était engagée sans réserve pour le pays sans en connaître l’issue, mais animée d’un grand espoir. (…) Dès l’arrivée des Allemands en Charente, la ligne de démarcation fut installée, et cela à 3kms de la ferme, à Bouëx. Nous nous trouvions donc en zone occupée zone frontalière. Le poste frontière était situé au village de la Petitie sur la route de Marthon. Par la kommandantur de Sers, j’obtenais un laissez-passer. Les communications entre les 2 zones étant interdites, je passais du courrier caché dans le guidon de mon vélo ou dans mes vêtements. A la demande des militaires français du poste du Chatelars, je transmettais des plans de la commune de Bouëx avec la situation d’hébergement des troupes d’occupations. Je conduisais clandestinement des familles en zone non occupée : à Vouzan et Marthon. Je fut arrêtée et fouillée deux fois. Durant cette période, jusqu’au mois de novembre 1942, ma vie quotidienne s’organisa dans l’exaltation dont le pôle principal d’attraction était : La Ligne de Démarcation.

(…) Le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) occasionna une autre étape de lutte. Mon frère désigné pour le S.T.O. refusa de se soumettre. Il se cacha avec un collègue dans une vieille maison isolée près de Vouzan. Je leur apportais du ravitaillement en évitant les rencontres indésirables. Le travail de faux papiers commença à cette époque. Un laboratoire de photos fut mis sur pied à la maison. Je faisais les déplacements nécessaires à cette organisation conçue par mon frère.  René CHABASSE nous mit en contact avec RISPARD. C’est en 1943 qu’il recruta ma famille et moi-même, pour appartenir à un réseau de résistance. Nous sommes initiés aux règles de la clandestinité. Je fus homologuée agent P2 du B.C.R.A. au service du B.O.A. Mon rôle consistait à assurer les liaisons entre René CHABASSE, notre responsable B.O.A. et différentes personnes sur Angoulême ou les environs. Je devais apprendre par cœur les adresses des personnes à contacter. Une gamine ne pouvant être soupçonnée, des missions m’étaient confiées surtout sur Angoulême : la caisse d’épargne, le magasin prisunic, une personne travaillant aux impôts, une autre à la préfecture, un magasin rue de Beaulieu etc. Toujours en vélo que je déposais à l’entrée d’Angoulême chez un marchand de grain. J’apportais du ravitaillement à un officier anglais et à 2 américains camouflés chez mon oncle à Jard dans la commune de Vouzan.

L’arrivée de Londres du Délégué Militaire Régional Claude BONNIER et de son adjoint Jacques NANCY provoqua un regain d’activités et une clarification dans les missions. Les annonces de parachutages ont suscité la mise en place de nouvelles structures et une organisation plus performante. Il fallait mettre sur pied un certain nombre d’éléments pour recevoir les armes, les cacher et les distribuer. Notre maison était le lieu de rassemblement. Dans ma famille, chacun à son niveau était engagé dans l’action. Après l’arrestation et le suicide de Claude à Bordeaux, J. NANCY regagna la Charente. Il s'installa à la maison pour former des saboteurs.L’assassinat de René CHABASSE par les Allemands, bouleversa notre groupe. La nuit du 21 fév. 1944, j’allais prévenir sa famille, récupérer tous les papiers compromettants et amener un rescapé du B.O.A. (Charles FRANC) à la maison.


Le lendemain, sur l’ordre de Jacques, je partais très tôt à Angoulême pour avoir des renseignements sur cet événement tragique. Avec prudence et malgré des contacts absents, j’eus la certitude que René était bien mort mais qu’il n’avait pas encore été identifié.


Les contacts avec Londres étant interrompus, les activités du B.O.A. furent mises en sommeil. J. NANCY créa la Section Spéciale de Sabotage (S.S.S.) à la maison qui resta le P.C. et le point de ralliement. Une trahison nous faisant redouter l’arrivée de la Gestapo, le groupe s’installa au Mas de Vouzan, ce lieu ne devait être connu de personne. Je servais d’intermédiaire et d’agent de liaison entre Jacques NANCY, les groupes et les isolés.

Je n’ai pas eu conscience de prendre un engagement mais de faire des choses naturelles et avec enthousiasme.
…/…

Andrée GROS sera arrêtée par la gestapo le 15 mars 1944, emprisonnée à Angoulême puis au fort de Romainville, elle sera ensuite déportée à Ravensbrück. Elle retrouvera sa famille le 1er juin 1945.