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Louis Fourgeaud

 

 

(…) Je suis né le 22 août 1922 à Vitrac St-Vincent en Charente. Mon père était cordonnier, ma mère était cultivatrice et j’avais une sœur de huit ans de moins que moi. Je devais quitter l’école à 14 ans pour devenir apprenti cordonnier auprès de mon père.


Mon père avait fait la guerre de 1914. Il y avait été fait prisonnier pendant deux ans, interné au camp de Limbourg près d’Aix-la-Chapelle. Ce n’est pas véritablement à l’école que ma haine des Allemands s’est cultivée en moi. C’est surtout au sein même de ma famille. Mon père avait beaucoup souffert durant cette première période du 20ème siècle. J’apprenais la déclaration de guerre par le tocsin du village. J’ai eu peur ! Je savais ce qui pouvait m’attendre. J’allais avoir 18 ans. Mon père était rouge de colère. Il ne comprenait pas que 20 ans après, le conflit réapparaisse. Il fut mobilisé de nouveau. Mais seulement pour emmener les chevaux de Vitrac à Angoulême en conséquence des futurs départs, je l’aidais, naturellement !

(…) Et puis la bataille commença ! La défaite des troupes françaises en juin 1940 était très dure à acceptée. C’était impensable ! On nous avait menti ! On nous avait dit haut et fort que nous gagnerions la guerre ! (...) Dans un même temps qui nous dépassait, Pétain est arrivé au pouvoir, j’étais sans enthousiasme ! Le 20 juin les Allemands arrivaient en side-cars, ils ne sont pas restés longtemps, faisant vite demi-tour, car le 22 juin, l’Armistice était signé. Et puis, c’est à cette même période que j’ai entendu parler de De Gaulle et de son Appel à la Résistance. J’étais un jeune gosse et donc sans opinions. Mais cet homme nous donnait naturellement le sentiment qu’il fallait avoir confiance en lui.


Tout aller à peut près bien, jusqu’au moi de juillet 1942, nous continuions à vivre, sans faire attention véritablement à la guerre et de ses conséquences, j’étais un enfant qui ne demandais qu’à vivre normalement. Et puis, je fus désigné par le gouvernement pour partir aux chantiers de jeunesse à Trançai dans l’Allier. Je l’ai très mal pris. Je me faisais tête dure, je fus donc mal vu ! Je restais dans ces chantiers jusqu’au moi de février 1943. Je me souviens avoir vu les Allemands investir le 11 novembre 1942 notre camp, pour nous rafler nos couvertures, nous dépouiller de nos blousons de cuir et autres affaires chaudes. La bataille de Stalingrad s’annonçait laborieuse.

Nous n’avons rien pu faire. Cela nous mettait hors de nous, c’était nos affaires personnelles ! Ils avaient même mains basses sur les Chantiers de Jeunesse. Ce n’était pas croyable ! Même les Français de Vichy étaient soumis aux restrictions intempestives !

 

Résistance : (…) Je ne suis pas resté longtemps chez mes parents. Fin février, je recevais une convocation pour le Service du Travail Obligatoire. Je devais aller passer une visite médicale à Montembœuf le 3 mars 1943. Bien évidemment, tous les requis étaient bons pour partir. C’était ma toute première convocation. Je devais partir le 5 mai pour Linz en Autriche, travailler dans l’usine Skoda. Je ne voulais pas partir ! Mais pas du tout ! Je voulais m’enfuir ! Comme je ne voulais pas travailler pour les Allemands et que le maquis n’était pas encore formé, j’ai donc décidé de rejoindre l’armée de De Gaulle. Je n’avais pas d’autres choix ! (…) J’ai su par des copains qu’il y avait un réseau à Taponnat, dirigé par M. Blanc, qui s’occupait des réfractaires du STO.  (…) Je me suis donc mis en relation avec le foyer de résistants de Taponnat. Accompagné d’un ami polonais, Edouard GORSKIE, nous avons été accueillis par un dénommé « Le Manchot ». Un drôle de bonhomme. Il me mit le canon de son revolver sur ma tempe pour nous dissuader de parler, et nous fit bien comprendre que si l’un de nous parlait, nous serions descendus. Il ne nous a pas demandé d’argent, mais en contre partie du voyage, nous devions porter des valises. Notre curiosité n’a pas un seul instant été éveillée par le curieux contenu, peut-être de la viande et autres denrées.  Nous sommes partis le 7 mai, 3 jours après notre rencontre avec la résistance du coin.

Le départ à lieu à Taponnat, nous prenons le train direction Limoges. Là, nous prenons le Paris, Port-Bon, via Elne près de Perpignan. Le 8 mai vers une heure de l’après midi, nous arrivons enfin à Elne. Nous prenons un repas sur le pouce et prenons un petit autobus pour atteindre les premiers contreforts des Pyrénées. Nous étions une dizaine à vouloir passer la frontière espagnole. Le 8 au soir, nous rencontrons notre passeur. Il ne nous inspirait pas tellement confiance. Il avait une tête de gitan, de contrebandier pas très catholique, mais il fallait passer. Je payais la somme de 12000 frs pour le passage de mon ami et du mien – il n’avait pas un sous en poche. Notre passeur nous accompagne durant tout le voyage, que nous effectuons à pieds. Ce sera une très longue marche dans la rocaille, les éboulis… jusqu’au 12 mai au matin, jour où nous sommes arrêtés par l’Armada (police espagnole). Notre passeur nous avait laissé près de la frontière. Nous avons marché sur 5 ou 6 km et étions à quelques centaines de mètres de Figuéras lorsque l’Armada nous fit face. On nous incarcère à la prison de Figuéras, jusqu’au 14 juillet 1943, nous étions 13 en cellule.

L’internement :
(…) Les conditions de détentions étaient détestables. Le moral était au plus bas, car nous vivions dans la saleté, avec poux, punaises, morpions… Nous manquions de nourriture et le peu que nous avions était infect. Les relations avec les codétenus et les gardiens étaient très mauvaises. Nous recevions parfois des coups pour seule raison, le plaisir de nous battre – J’ai reçu une fois un coup de pied aux fesses qui m’a fait voler sur plusieurs mètres. Nous ne pouvions pas nous rebeller, nous étions toujours sous surveillance. On nous aurait roués de coups sinon. Nous n’avions même pas le droit de regarder par la fenêtre. Les seuls dialogues entre nos gardes et nous, était leur phrase favorite « Viva Franco, Viva Espagna ».  Nous avions seulement deux heures de libertés. Je me souviens de ma première vision d’horreur : vers 5h30 du matin, un Allemand qui avait fuit son régiment et qui avait été incarcéré dans cette prison, fut fusillé. C’était horrible pour moi, de voir un homme se faire exécuter comme cela ! Ensuite, on nous a transféré à la prison de Gérone, puis, de Barcelone jusqu’au 20 août 1943. J’ai été séparé de mes copains et enfermé pour une nuit à la citadelle de Montpuiet. Puis, sans savoir pourquoi, j’ai été ramené de nouveau à Barcelone, dans une prison de quartier, Via Laveana.

Vers le 20 août 1943, suite à une communion, un prêtre me livra à un délégué du Joint Comity, nommé Samuel SEQERRA. Considéré comme apatride, je suis mis en liberté surveillée chez une veuve d’officier de Franco, à l’adresse suivante : 88 calle Zaragosa à Barcelone.
Je restais chez elle, jusqu’au 24 novembre 1943. C’était une femme infecte. Je dormais quasiment sur le planché. On m’avait donné du grillage à lapin pour me constituer un sommier… Mon repas du midi était le même que le soir : 3 petites tomates, un morceau de pain… Le jour où je suis parti, elle m’a offert 1kg de figues !  Durant toute cette période, j’avais obligation d’aller tous les jours signer mon acte de présence au commissariat. Ensuite, j’allais à la mission lire ou travailler. Je reprenais mon activité professionnelle et cela me faisait un peu d’argent, de quoi me nourrir un peu. Le 24 novembre, je suis libéré par l’office américaine. On m’embarque avec d’autres dans des wagons de bois à destination de Malaga. Nous passons par Madrid et dormons à l’hôtel Norté, où on nous apporte un bon et vrai repas. Arrivé à Malagua, on m’embarque sur le général Lépine pour Casablanca, où je restais de janvier 1944 à mai 1944.

La guerre:
J’arrive donc en Afrique du Nord le 1er décembre 1943. Je quittais la vermine pour la retrouver ! On nous envoie à Médiuna, où je suis incorporé dans l’armée de l’Air. J’y reste 3 jours. Puis, je suis envoyé au dépôt 209 à Casablanca au camp d’instruction, où je recevais un équipement USA. Je suis ensuite évacué sur Rabat à la suite de 15 jours après, direction Blida, pour la visite du Personnel Navigant. Je suis Ok, on m’envoie donc à Casablanca au camp de Cazes. Entraînement, marches, sport sous la férule du capitaine Bouhier. Un meneur d’hommes ! Je fais alors parti du peloton des Elèves caporaux et exécute de nombreuses gardes de jour et de nuit. Nous n’étions pas tranquilles, de nombreux avions survolaient la base, les Arabes venaient nous voler.
Cela dura jusqu’au 14 avril. Le soir, on nous fit changer de vêtements pour un départ mystère. Le 15 mai, vers minuit, direction le port où un bateau US nous accueille.

A 8 heures du matin, grâce au levé des couleurs, nous connaissons le but de notre voyage. L’Amérique et ses écoles destinées aux Personnels Navigants. Nous vivons 3 nuits en alerte aux U-Boot : tires de canons, mines marines… Nous sommes sur le port des baleiniers avec chacun une bouée dans les mains, le silence s’installe. Notre voyage se poursuit. Je comptais 142 bateaux de toutes sortes. Des hydravions nous accompagnent. Nous arrivons à Norfolk le 31 mai. Nous débarquons le 1er juillet 1944. Nous passons à la revue sanitaire et nos veilles tenues ont été brûlées. Un repas sucré nous est servi et nous essayons nos nouvelles tenues : un pantalon, une chemise et cravate noire. Après quoi, nous prenons le train direction le Sud. Nous passons par Atlanta, pour nous rendre à Selna dans l’Etat d’Alabama. Les avions tournent 24h sur 24h. Nous effectuons des exercices jusqu’au 5 juillet. Puis, un départ est de nouveau organisé. Direction Denver, avec un arrêt à Saint-Louis, Kansas City et Pueblo, le pays du blé. Je me souviens avoir vu un champ où 6 moissonneuses-batteuses fonctionnaient en même temps !


Après quelques jours de repos, les cours reprennent. Etudes des armes, des bombes, fusées, canons aériens 20 m/m et cours d’anglais usuel. Plusieurs heures par jour, nous allons à Loury II pour peindre des cocardes russes sur des P39 Acrocroba et des A20 Boston pour les attaques de chars prévues en septembre. Nous verrons également des B29 : 4 énormes moteurs de 3500 CV, des avions pour le Pacifique et la guerre aéro-maritime. Ecole et cours tous les jours. Séances de cinéma, jour d’étude, des avions japonais, et toujours des remember Pearl Harbor. Ce sera notre vie jusqu’au 25 septembre 1944. Ensuite, direction le Sud : Floride sur la Bose Tyndal Field. Puis c’est le golf du Mexique. Il y fait très chaud : 25° à 28° dès 10 heures du matin.

Fin septembre nous subissons un violent cyclone. Les dégâts furent très importants. A la base, les services sont de plus en plus serrés. Premier vol sur un B24. C’est un vol accoutumance : Tir avec mitraillette, sur cibles, pour la surveillance des côtes. Le vol est en haute altitude 1000m, avec masque à oxygène. C’est très fatigant. Nous effectuons 5 à 6 heures de vol, ce sera notre régime jusqu’à fin décembre.


Nous passons des examens d’aptitudes. J’obtiendrai les Ailes de Armurier Mitrailleur. C’est la fin de ce stage. Je recevais à ce moment là, des nouvelles de France. Beaucoup de drames, des copains disparus. Nous avons 10 jours de permissions, et le droit de voyager dans une limite de 300 Miles – environ 500 km. Nous sommes une bonne équipe de copains. Nous décidons de faire le tour de la Floride. Les bus vont à peut près partout. Nous partons donc à 4 vers l’Est à  Roland GRAND, Lucien GOUBARD, et moi même. Au cours de notre visite, nous tombons sur un restaurant au nom français : Dauphin Bleu. Le tenancier du restaurant est en l’occurrence français. Le souper nous est servi gratuitement. Quelle veine, car nous avons un petit budget pour notre voyage. Le soir vers 22 heures, nous prenons le bus. Il possède des wc ultra modernes. Nous visitons Miami. Ce sont 2 jours de vraie permission. Pour le retour nous passons par Fampa et Panama City. Nous assisterons à la messe de minuit chantée en gospel par les noirs du pays. C’est merveilleux. Le 2 janvier direction, La Nouvelle Orléans ! Il faut l’avoir vu !


Nous irons par le train Barksdale, point d’arrivée. Notre future base pour le training sur B26 Marauder, bombardier moyen, très rapide. Il avance à 550 Km/H, puissance 2 , décollage à 300 Km/H, un pur-sang.


Puis ce sera le début de la formation des équipages.
Le premier : le Lieutenant CHAUCHOTt,
Le copilote : le Sergent MARET,
Le navigateur : le Sergent CHAUVINEAU,
Le meneur : le Sergent ROSSIGNOL,
Le radio : le Sergent AUMAITE,
Le mitrailleur : moi-même.

A partir de ce moment là, nous effectuerons quotidiennement des vols de jour et de nuit. Vers la fin du mois de janvier, un accident à eu lieu, sans dégâts humains mais matériel. C’était au cours d’un atterrissage et décollage. Les moteurs se sont étouffés et l’avion s’est crashé.


Vers le 10 février 1945, il y eu un autre accident, très grave, au cours d’un vol en rase mottes. L’avion heurte le sol et prend feu. Nous comptons quatre morts : Le navigateur, les deux pilotes, le radio. Le mécanicien, BOURGEOIS, aura de graves brûlures aux mains. Le mitrailleur, NIECKE, aura un doigt de cassé. Nous exécuterons à 12 avions un vol de mille milles, avec un chargement de bombes et munitions en direction de Barksdale à San Antonio et repartirons ! Nous continuerons le training jusqu’au 17 février 1945, date à laquelle nous repartirons pour Détroit à la base de Seffirge pour un training très poussé. Le climat est beaucoup plus froid : blizzard et neige cohabitent. C’est là, que nous vairons la fin du conflit en Europe le 8 mai 1945. Mon training s’achève donc le 20 mai 1945.

La Libération :
Quand tout fut bien terminé, je regagnais mon pays et reprenais l’entreprise de mon à Vitrac-Saint-Vincent en Charente. Ces 6 années de guerre fut une époque trouble et encore plus après la guerre. Je revenais dans un pays détruit. Entre les USA et la France, on avait l’impression de changer de planète. Tout est en grand là-bas, et les Américains étaient des hommes vraiment sociables, vous ne manquiez jamais de rien. Je fais toujours parti de l’Amicales Air Miles : APNFA (Association du Personnel Navigant Formé en Amérique.


J’étais évidemment plus sûr de moi après la guerre. Ils se sont débarrassés de nous rapidement, il a fallu donc faire face, reconstruire ce qui avait été détruit en France et me faire une place entant que cordonnier dans la nouvelle société. En Afrique du Nord au mois de juillet 1945, mon pilote était le frère de François Mitterrand.

La guerre n’est pas à vivre, je ne le souhaite à personne !