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Raymond Tournier

 

 

(…) Je suis né le 29 octobre 1922 au Puy du Maine, commune de Vindelle (Charente).

J’ai appris la déclaration de guerre par la radio et surtout par les affiches de mobilisation générale en date du 3 septembre 1939. A 17 ans, mes études étaient plus importantes pour moi que cette décision que l’on attendait déjà depuis quelques années et qui ne venait jamais.

(…) En 1939, je terminais mes études au Lycée agricole de l’Oisellerie et en 1940, je passais mon Brevet Elémentaire Supérieur à l’Ecole de Sillac (Angoulême). Maman était institutrice à l’Ecole de filles de Roffit (Gond-Pontouvre) et papa, préparateur en pharmacie, chez Joubert pharmacie à Angoulême. Puis, en 1941j’entrais à l’institut colonial du Havre pour finir le 15 janvier 1943. De là, je partais à l’école forestière coloniale de Nogent/Marne. En attendant une nomination dans unes de nos anciennes colonies, je fus affecté provisoirement - au mois d’avril 1943 - à l’inspection des Eaux et Forêts de Mont de Marsan dans les Landes, au titre de contrôleur principal.

(…) La guerre commença véritablement en mai 1940, et malheureusement, j’ai dû commencer à douter de l’efficacité de notre armée en voyant tous ces gens fuyant devant l’ennemi, errant sur les routes sans savoir où aller pour être en sécurité. Ce qui me frappa le plus, c’est l’arrivée des troupes allemandes à Angoulême et leur occupation de la caserne du 107ème R.I. le 24 juin 1940. J’ai eu vraiment peur pour l’avenir et surtout eu honte d’être un Français, oui honte !

(…) Pour papa, PETAIN était un grand chef militaire, pour moi qui n’avais pas d’idées préconçues, lui ou un autre… J’attendais qu’il nous prouve qu’il pouvait être aussi un grand chef d’état, mais je fut très vite déçu.

(…) En ce qui concerne le Général De GAULLE, je n’avais pas entendu parler de lui immédiatement, que bien après son appel du 18 juin. A cette époque la radio et les journaux occultaient toutes les informations en provenance de Londres. Par la suite, j’ai pu admirer son courage et sa volonté de rester libre et Français, malgré son isolement en pays étranger et d’inciter ses compatriotes à le rejoindre afin de continuer la lutte.

(…) Au début de l’occupation, les troupes allemandes étaient relativement « correctes », notre vie était à peu de choses près la même. Mais en quelques mois, le régime autoritaire contraignant, se transforma en un régime de terreur. La population était privée de presque tout : nourriture rationnée et parfois avariée, peu ou pas de moyens de chauffage pendant les grands froids, rationnement d’électricité, de produits d’éclairage, mais le plus difficile fut la perte totale des libertés, orales ou même physiques. Par exemple : le couvre-feu de 22H à 6H du matin et ce toutes les nuits, c’est à dire interdiction formelle de sortir de chez soi !


Tout rassemblement de plus de 5 personnes, donnait lieu à des représailles, d’ou la perte de communication entre nous et la méfiance de chacun. Pour ceux qui possédaient une T.S.F. (aujourd’hui radio ou transistor), il ne fallait absolument pas qu’ils puissent capter les émissions en provenance de Londres sous peine de sanctions, mais au contraire suivre attentivement la propagande allemande et française.

Les moyens de transports devenaient de moins en moins accessibles en raison du manque de carburant et par conséquent les trains étaient bondés. Les contrôles d’identité se multipliaient ainsi que les arrestations, ce qui instaurait un climat de peur et d’insécurité constante. On se méfiait de tout et de tous ! Effectivement ce régime a surtout généré la psychose d’une peur permanente et paralysante. La peur d’être arrêté pour un motif banal, pour un regard mal interprété, une parole mal comprise ou sur une dénonciation injustifiée. De cette manière, vous vous retrouviez vite à la kommandantur, siège de l’administration allemande et de la Gestapo (redoutable police secrète)… C’est dans ce contexte qu’est naît l’esprit de la résistance et que des milliers d’hommes et de femmes révoltés, ont combattu l’oppresseur souvent au péril de leur vie, pour libérer le territoire et retrouver leur honneur.

En 1942, j’avais 20 ans et comme beaucoup de jeunes garçons de mon âge, je fus astreint au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.), institué par les Allemands avec la collaboration des autorités françaises. Nous devions aller travailler dans les usines industrielles et d’armement pour soutenir l’effort de guerre. C’est pour cette raison que le 18 juin 1943, 2 Feldgendarmes sont venus me chercher au bureau afin de m’emmener à la Feldkommandantur de Mont de Marsan pour me faire remplir et signer un contrat qui m’expédiait à Stettin, important port de Pologne sur la rivière Odra et la mer Baltique. Je devais partir le 6 juillet. Je demandais à mes supérieurs, l’autoristation de prendre quelques jours de congé. Permission accordée comme le prouve la circulaire n°1843 de l’Inspection de Eaux et Forêts. Je regagnais aussitôt Roffit ou résidaient mes parents !

Après quelques entretiens avec mon père, grand mutilé de la guerre 14/18, je pris la décision de refuser d’accomplir ce service.


Mon cousin, René BLANCHIER, m’ayant dit un jour « si tu as des ennuis, je pourrais peut-être t’aider », j’allais donc le voir et là, effectivement, me conseilla d’essayer de rejoindre les Forces Françaises Libres en A.F.N. Pour cela il me donna l’adresse d’une de ses connaissances à Pau, en mesure de me faire passer en Espagne. Muni de ces renseignements, le 3 juillet 1943, je prenais le train pour Pau. Malheureusement en cours de route, il y eut un contrôle de la Gestapo. En vérifiant mon billet et mes papiers, les agents furent intrigués par ma destination et mon contrat S.T.O. J’ai eu beau leur expliquer que j’allais dire au revoir à des parents, ils me demandèrent de les suivre et me firent descendre à Dax. Là, ils me conduisirent dans un wagon de voyageurs réservé aux autorités allemandes et gardé par des hommes en armes. Quelques instants plus tard, je fus rejoint par 14 personnes arrêtées dans les mêmes conditions que moi. Puis, se fut le départ vers une destination inconnue. Celle-ci était en définitive Bayonne et ensuite Biarritz. De la gare et sous escorte renforcée, nous arrivâmes à l’Hôtel Edouard VII, hôtel très prisé avant la guerre et où de nombreuses vedettes avaient séjourné. Mais pour nous, on nous réserva les sous-sols et les caves.

Personnellement, je n’y suis resté que 5 jours, 5 longs jours dans l’obscurité en compagnie de 50 compagnons d’infortune. Les journées étaient ponctuées d’interrogatoires longs et souvent musclés. Puis, je fut transféré à la « Maison Blanche », toujours à Biarritz. Cette ancienne pension de famille avait été convertie en lieu de rétention en attendant un éventuel départ en Allemagne. Ici, les conditions d’internement étaient bien meilleures. Nous étions 4 par chambre, la nourriture était assez bonne et les gardiens pas trop sévères. Le 28 août 1943, mes camarades et moi furent transférés au quartier allemand de la forteresse militaire du Fort du Hâ à Bordeaux. A ce moment là notre vie bascula dans l’horreur ! Nous n’étions plus des hommes mais des matricules. Le mien était le n°8050. Nous étions 11 par cellule qui mesurait 4m/4m. Pour tout confort un bidon de 20L. d’eau pour la toilette et la soif. Les W.C., un siège à la Turque ! Impossible de pouvoir s’étendre tous à la fois et ce jusqu’au 8 oct. date à laquelle nous sommes partis (en train de marchandise) pour le camp d’internement du Fronstalag 122 à Compiègne où nous sommes arrivés le 10 oct. Ce camp avait été construit pour les soldats anglais pendant la guerre de 14-18. Nous avions des baraquements en bois où nous étions 200 par bloc. Je fus affecté au bâtiment A4 chambre 14 avec un nouveau matricule, le 18303. La vie était presque supportable car dans la journée, nous pouvions nous promener sur le terrain, à condition de respecter le règlement très autoritaire, en particulier les appels de jour et de nuit, parfois durant de longues heures sans bouger sous la surveillance des S.S. et de leurs chiens dressés pour tuer. Comme toujours la nourriture était réduite à la portion congrue !

Dans ce camp, j’ai eu la chance et le plaisir de retrouver Hubert FICHET, un ancien camarade des Auberges de Jeunesse qui a joué un rôle déterminant dans notre projet d’évasion. Le 28 octobre, 1000 prisonniers dont Hubert et moi faisions partie, furent rassemblés dans un baraquement que les anciens du camp nommaient « le salon des adieux ». Le 29 au matin, en colonne et en rang par 5, étroitement surveillés par les S.S. et leurs chiens, nous avons pris la direction de la gare, où nous sommes arrivés vers 9H après avoir traversé une grande partie de Compiègne. Le train de marchandises qui devait nous conduire à Buchenwald était déjà à quai. Les S.S. s’agitaient et devenaient nerveux et sur un ordre nous ordonnèrent de monter dans les wagons et cela à coups de cravache afin que nous puissions aller plus vite. Et voilà, nous y étions ! Les portes se refermèrent aussitôt et furent plombées. Dans l’obscurité et tassé à 110 prisonniers, nous étions dans l’impossibilité de nous coucher ou même de nous asseoir.


Lorsque l’horloge de la gare égrena ses 11 coups, le train démarra. Un trait de lumière éclaira légèrement le wagon. Hubert FICHET qui avait préparé minutieusement notre évasion, avait réussi à nous réunir tous les 6 avant notre embarquement. Nous discutions de quelle façon nous allions pouvoir sortir de là ! Tout à coup, un détenu, intrigué de sentir un corps dur sous ses pieds, ramassa sous la paille une tenaille. Cela peut paraître inouï, mais nous en avions eu confirmation par la suite, des cheminots français mettaient effectivement une tenaille dans chaque wagon destiné à la déportation.

Après de longues minutes de tractation nous réussissons à obtenir cet outil providentiel qui nous facilita grandement notre entreprise. Grâce à elle, nous avons pu déverrouiller le petit vasistas servant à l’aération du wagon. Mais la prudence nous conseillait d’attendre la nuit pour sortir. Notre train, n’étant pas propriétaire, s’arrêtait à toutes les gares pour laisser passer d’autres convois. Cela nous permis d’arriver à Bar le Duc à 20H à la pendule de la gare. A cette heure là au mois d’octobre, la nuit est tombée depuis longtemps. C’est pour cela que nous avions décidé de faire le saut dès que le train repartirait. Les dernières lumières de la gare estompées, nous nous lancions. Que le sol était dur, qu’il était long ce train et le bruit des roues sur les rails juste au-dessus de nos têtes était insupportable. Et tout à coup, le bruit diminua et ce fut le silence. En relevant la tête, nous vîmes les feux rouges du dernier wagon disparaîtrent dans la nuit. Nous avions réussi, mais nous n’étions pas pour autant en sécurité. Par chance, nous n’avions à déplorer aucune blessure grave. Etant regroupés, nous sommes partis à l’aventure, dans la campagne, dans la nuit et sous la pluie. Après plusieurs heures, nous sommes arrivés dans un petit village endormi. Une église, nous sonnons alors au presbytère. A notre vue, le curé eu un moment d’émotion, mais très vite il se reprit. Ne pouvant nous garder avec lui, il nous conduisit chez des personnes discrètes et sures. Ces personnes s’appelaient, M. et Mme LEROY, tenanciers de l’hôtel restaurant de la gare à Longeville près de Bar le Duc. A notre grande surprise, cet établissement était régulièrement fréquenté par des Allemands. Malgré cette situation extrêmement dangereuse, M. et Mme LEROY n’hésitèrent pas à nous héberger tous les 6, nous nourrir, nous réconforter (« pour cela nous leur devons notre reconnaissance éternelle »). Au bout de 2 jours, 2 de nos camarades risquèrent de gagner Paris. L’un d’eux pu alerter mon cousin Emmanuel TAILLEFER demeurant à St. Mandé. Sans hésiter, celui-ci est venu nous chercher Hubert FICHET et moi, pour nous ramener chez lui. Nous y sommes restés quelques jours le temps que mon cousin nous procure de faux papiers, cartes d’identité, tickets de rationnement, certificat de travail. Plus en sécurité, nous avons regagné Angoulême.

Une autre aventure allait commencer, celle de mon engagement dans la lutte armée sous ma nouvelle identité : CHEVALIER Henry, né le 10 août 1919 au Havre, domicilié à Saint-Yriex en Charente, représentant en cognac et autres eaux de vie. Après avoir été hébergé très discrètement chez une charmante femme âgée : Mme CHAPEAU habitant au 3 rue des Colis à Angoulême (ironie du sort, je n’ai su que beaucoup plus tard après ma démobilisation que cette dame était juive et donc risquait autant que moi sinon plus, de très graves représailles de la part des Allemands), mon cousin René BLANCHIER, gendarme et avec qui j’avais eu quelques contacts discrets, pris la décision, le 10 janv. 1944 de me faire passer en Zone Libre en utilisant pour ce faire, un faux ordre de mission et moi menottes aux poignets à la ligne de démarcation à La Rochefoucauld. Il me conduisit chez M. et Mme DEMAY à La Braconne d’Yvrac à 10km de La Rochefoucauld sur la route de Montembœuf.  M. DEMAY était exploitant forestier où je trouvais chez lui un accueil formidable. Il avait déjà comme ouvrier Rémy BENOIT, parti de sa Moselle natale pour se mettre à l’abri des Allemands. Notre travail consistait à faire des coupes de bois puis de débarder sur les routes. Pour ce faire, nous utilisions de grands bœufs très dociles mais tout de même impressionnants. De temps en temps, nous allions arracher les quelques affiches de propagande vichyssoise. Nous avons été bien accueillis par les habitants du petit village qui comprenait environ 40 âmes. Nous étions très bien nourris, cela me permit de reprendre des forces.

Ceci jusqu’au 9 mai 1944, où M. DEMAY faisant parti de la résistance (ce que nous ne savions pas Rémy et moi) avait décidé de me conduire le 9 mai dans un maquis - proche de celui du Colonel Bernard LELAY. Je fut donc incorporé dans le bataillon du Capitaine Maurice GAUDI, P.C. de la 3ème Compagnie n°2406, sous le pseudonyme d’Henry.

Après une petite période d’observation tout à fait naturelle, j’eu droit de participer à la vie du camp et de suivre mes camarades dans leurs combats. Au camp, nous couchions en pleine nature sous quelques tentes dissimulées sous les branchages. La nourriture était parfois abondante mais aussi parcimonieuse selon comment nous arrivions à nous approvisionner chez les cultivateurs des environs dont beaucoup se ralliaient à notre cause. Les plus importantes opérations dans lesquelles notre compagnie fut engagée sont : 17 juin, nous avons arrêté à Chabanais un train de G.M.R. (Gardes Mobiles de Réserves) ; récupérations d’armes, matériels et couvertures. Le 21 juin, nous avons appris qu’une voiture allemande était dans la région d’Etagnac. Nous avions établi un barrage, mais la voiture fit demi-tour et ses occupants l’abandonnèrent.

Le 19 juillet, on nous signala un train blindé en gare d’Oradour/Vayres, en collaboration avec la Cie. n°2.405 du Lieutenant PAULET, nous attaquions. Après 4 ou 5H de combat les Allemands abandonnèrent le terrain et se réfugièrent au château. Le Cl. LELAY le fait incendier au bazooka. Les Allemands prirent la fuite sur la route de CUSSAC en laissant derrière eux une centaine de morts. Quant-à nous, nous avions 2 camarades tués. Le 29 juillet, accrochage entre une colonne allemande composée de 3 camions et de 2 voitures légères. L’ennemi fit demi-tour et laissa une 601 Peugeot. Du 7 au 15 août, l’ordre fut donné de marcher sur Limoges. Le premier bataillon du Cpt. Maurice GAUDI prit position à Verneuil, puis à Landouge. Le 18, notre patrouille pénétra jusqu’au centre de Limoges. Elle se heurta à une patrouille allemande, mais réussie à se dégager à coups de grenades. Nous avons fait 2 morts et quelques blessés. Le 21 au soir, tout le régiment participa à la libération de Limoges. Puis, nous obtenons l’ordre de nous diriger sur Angoulême. Le bataillon Maurice en liaison avec Bir Hakeim progressa et subit plusieurs accrochages en forêt de La Braconne. Le 31 le bataillon occupe Ruelle. Dans la soirée, le bataillon entre dans Angoulême par la route de Limoges et occupa aussitôt la caserne St. Roch.

Angoulême était en fait malgré encore ses échanges de coups de feu avec des miliciens… J’ai du choisir entre être démobilisé ou m’engager pour la durée de la guerre. C’est cette dernière solution, que j’ai fini par adopter. J’ai donc signé un engagement volontaire au 107ème  R.I. Le 10 sept. 1944, nous partions pour le front Atlantique (poche de Royan). Ma Cie occupait des postes avancés comme Meursac, Cozes, Les Epaux. Cette année là nous avions eu un hiver extrêmement rigoureux ce qui retarda l’attaque sur Royan. Nous en profitâmes pour nous préparer en renforçant notre armement et notre entraînement.


Le 5 janvier 1945, l’aviation alliée effectuait une attaque aérienne très intense qui a eu comme conséquences de marche, la destruction quasi totale de Royan. Le 15 avril, l’ordre de marche fut donné. J’avais alors été muté entre temps au 12ème RAD-Régiment d’Artillerie Divisionnaire, sans pour cela avoir vu un seul canon. Après de violents combats, l’amiral MICHAEL commandant en chef des troupes allemandes ordonna à celles-ci de se rendre… Ma Cie. rejoignit La Rochelle qui avait été libérée par d’autres unités, puis Ligugé dans la Vienne près de Poitiers. Nous attendions notre départ pour l’occupation en Allemagne. Quant-à moi, j’ai pu profiter de mon internement pour me faire libérer le 6 octobre 1945 et rentrer dans ma famille à Roffit (lieu dit se trouvant à Saint-Yrieix sur Charente).