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Raymond Tournier

 

 

(…) J’ai appris la déclaration de guerre au début du mois de septembre 1939 par les affiches de mobilisation et les journaux. Sans surprise, car malgré les accords de Munich de 1938 entre l’Allemagne, l’Angleterre et la France, la rumeur publique parlait encore de guerre, surtout du fascisme et de la dictature Hitlérienne. La guerre d’Espagne était la preuve que le fascisme ne pouvait qu’amener des conflits (guerre civile). (…) En janvier 1939, j’avais eu 17 ans. J’étais apprenti à la Fonderie de Ruelle comme ajusteur. Mon père était décédé en 1924 des suites de la guerre 14-18. Ma mère s’était remariée, mes parents étaient agriculteurs à Nontron (24). (…) Trop jeune pour la mobilisation, je ne suis pas parti au front. (…) La défaite était une insulte pour le peuple français et moi-même. Tout le monde avait confiance en notre armée. Je dis insulte tant la déception fut grande. L’Armistice était un soulagement. C’était la fin de la guerre ! Mais après la prise de position de PETAIN et du gouvernement de Vichy, il n’était pas possible d’accepter l’occupation allemande.


(…) Abasourdi par la défaite, il a fallu un certain temps pour que l’on réagisse. L’arrivée au pouvoir de PETAIN, n’encourageait pas à la réaction. La politique de collaboration, le manque de liberté politique et les problèmes de ravitaillement, ont été déterminants dans ma prise de position. De plus, je savais à quoi correspondait le fascisme ! (…) Je n’ai entendu parler de De GAULLE qu’environ 1 ou 2 mois après l’invasion allemande, par la presse de Vichy, qui le qualifiait de traître. Ce n’était pas mon avis, puisqu’il avait pour objectif de sauver l’honneur de la France !  (…) J’ai connu son appel de façon peu clair, je n’avais qu’une vague idée de ce que l’on allait appeler plus tard la Résistance. Je s’avais seulement qu’il appelait à continuer la lutte pour libérer le pays. (…) La zone libre ne fut pas occupée des l’arrivée de l’armée allemande en France, seulement le 11 nov. 1942. Mais l’occupation s’était déjà fait sentir avec la politique de collaboration du gouvernement de Vichy. Ayant perdu mon travail en zone occupée, j’étais à la charge de mes parents, ce qui devenait désagréable et gênant dû au manque de ravitaillement. Ce qui me choquait surtout, c’est que certains de mes camarades étaient poursuivis et même emprisonnés pour leurs idées politiques. (…) Mes éducateurs, instituteurs et famille m’ont inculqué l’idée de la République et principalement le sens primordial de la liberté. Je ne pouvais accepter que mon pays soit occupé et de surcroît par un pays qui était depuis des décennies notre ennemi ! Mon père était décédé des suites de la guerre 1914-1918 et pendant toute ma jeunesse j’ai entendu des récits concernant cette grande guerre. D’autre part, dès 1941, je savais que des hommes des femmes étaient emprisonnés et quelques fois exécutés pour la lutte qu’ils menaient pour libérer le pays.


J’avais un choix à faire, je l’ai fait !
(…) Je ne peux exactement citer les dates, mais a plusieurs reprises, j’ai franchi clandestinement la ligne de démarcation, à Chazelles. Par 2 fois en octobre 1941, j’ai transporté dans mon vélo des lettres que me donnait un notaire à Nontron que je remettais dans un café à Ruelle. Or à l’époque je ne savais pas que ces messages étaient destinés à la résistance. A la même période je me suis fait prendre au passage de la Ligne, ce qui m’a valu 8 jours de prison, puis 15, à la maison d’arrêt d’Angoulême. Durant l’année 1942, avec un camarade dont le père était imprimeur, nous avons distribué des tracts clandestins dans les rues de Nontron. C’est par l’intermédiaire de cet imprimeur membre de la résistance, que je suis entré en contact avec un dirigeant de la résistance périgourdine : M. BRICHAREL qui en 1943 me dirigea vers un maquis. (…) En mai 1943, je suis convoqué pour partir au Service du Travail Obligatoire. Mais, je ne réponds pas à cette convocation. Le 16 juin 1943, je reçois une deuxième lettre qui m’oblige à me cacher dans une maisonnette jusqu’au 27 juillet, date à laquelle je rejoins le maquis « Mireille » dont le chef Marc Goldmann était responsable d’un des groupes « Combat » des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) – Armée Secrète (A.S.) de St. Alvère (24). Ce groupe était logé dans une vieille ferme au cœur de la Double, à St Vincent de Connezac. Formé déjà depuis plusieurs mois, ce nouveau groupe était bien évidemment devenu la cible des Allemands, en vain. Nous avions changé 3 fois de campement, nous étions donc arrivés dans la Double.


Le 3 novembre au matin vers 9H, on nous signale que des troupes allemandes accompagnées des Groupes Mobiles de Réserves (que l’on appelait les G.M.R.), et de la Milice se dirigeaient vers nous. Nous avons pris positions avec les armes que nous disposions : des fusils mitrailleurs, 12 mitraillettes, autour de la ferme sous la direction d’un Commandant géorgien qui était déserteur de l’armée allemande. Nous ne comprenions pas très bien ce Commandant, il ne parlait que l’allemand, par conséquent il était très difficile pour nous de prendre position tel qu’il aurait été nécessaire. D’ailleurs, nous n’aurions pas dû prendre position, nous aurions dû évacuer le camp. Enfin, les Allemands et les G.M.R. sont entrés en contact avec nous. Nous avons tiré, avec 2 fusils mitrailleurs, mais nous avions peu de munitions. Ils nous ont encerclés, et nous avons été obligés de nous rendre - n’ayant plus de munitions. Nous avions 2 blessés et 2 morts, et 27 de nos camarades furent pris. Ils nous ont transportés à la Maison d’Arrêt de Périgueux, où les Allemands ont récupéré les 3 Géorgiens qui étaient avec nous, et les ont pendus ! Le groupe fut laissé aux mains des autorités françaises, et enfermés à la Maison d’Arrêt de Périgueux. Le 10 janvier, nous fûmes transférés à la Maison d’Arrêt de Limoges (notre incarcération dans ces 2 prisons était satisfaisante, nous entretenions d’assez bonnes relations avec nos gardiens. De plus, nous étions internés tous ensemble, ce qui entretenait le moral, le plus contraignant était le manque de nourriture, quoi que les familles avaient droit à quelques visites, cela jusqu’à Compiègne), où quelques jours après, nous avons été jugés par ce que l’on appelait, la Section Spéciale de cours d’Appels, une juridiction créée par le gouvernement de Vichy, pour juger les actes de terrorisme, ce qu’ils appelaient ainsi, c’était de la résistance. Le groupe fut condamné à différents degrés, certains à 15 ans de travaux forcés, d’autres 5 ans de prison, c’était variable. Quant-à moi, je fut condamné à 5 ans.


Quelques jours après ma condamnation, nous avons été transportés à la Centrale d’Eysses, dans la banlieue de Villeneuve-sur-Lot, où il y avait 1200 détenus patriotes, qui eux aussi avaient été condamnés par la juridiction française. (…) La situation matérielle n’était pas trop trop dure, parce que nous avions une certaine liberté à l’intérieur de la prison, nous vivions dans ce que l’on appelait des préaux, pouvant contenir 200 personnes. Nous étions assis là la journée, devant des tables, une espèce de bureau d’école. Nous pouvions lire, écrire. La situation n’était pas terrible, les gardiens montraient souvent leur amertume à notre égard. Le plus ennuyeux c’était la nourriture qui était désastreuse. L’avantage, c’est que nous pouvions avoir des relations avec l’extérieur, nous pouvions écrire et recevoir des colis, ce qui nous arrangeait très bien. Sur le plan moral, et bien... nous avions quand même confiance que la guerre finirait avec la victoire des Alliés. Pour nous c’était quelque chose de normal, tous les camarades pensaient que la France ne pourrait pas être un jour libéré. Nous ne pensions qu’à ça à la libération, et nous en parlions beaucoup.
 
Une certaine solidarité s’est créée, notamment au sein des groupes d’une même table, comprenant une dizaine de détenus. Ces dizaines de détenus étaient là toujours ensemble. Nous étions tous solidaire les uns des autres, ne serait-ce que lorsqu’un colis arrivait, la nourriture était partagée entre tous les membres du groupe de la table. C’est ainsi que commença notre solidarité. Quasiment maintenue durant notre internement, elle s’est amplifiée dans les camps (entre déporté, c’était une solidarité morale).


Pour le régime quotidien, les gardiens en principes étaient assez durs. Il y avait un régime pénitentiaire, à suivre ! Ritualisé par les heures de lever, de toilette et de sanitaires. Pour cela, ils étaient implacables. Mais il y en eut quelques-uns, qui plus tard, ont appartenu à la résistance, ont aidé les prisonniers, notamment lors de la révolte qui eu lieu le 19 février 1944 au soir, vers 4 h. Ils nous fournissaient des armes en pièces détachées. Cette révolte avait eu pour but l’évasion des 1200 prisonniers. Le Directeur de la prison et un inspecteur des prisons du Gouvernement de Vichy accompagné de Plantin, furent ce jour là en visite à la centrale. Lorsqu’ils sont arrivés dans le préau 1, où j’étais d’ailleurs, quelques détenus se sont précipités sur eux, les ont ficelés et les ont gardés en otage. Les uniformes des gardiens, ont servi à habiller des détenus, qui ont eux ! Essayer de sortir par la porte la seule porte de sortie. Seulement à cette porte, il y avait un corps de gardes (G.M.R.). Il fallait annihiler ce corps de garde. C’était le but de ces détenus habillés en gardien. Or quand ils sont arrivés à cette porte, un groupe de Droits Communs arrivant d’une corvée, reconnu les détenus habillés en gardien. Ils prirent peur et donnèrent l’alarme. La porte fut bloquée par des armes automatiques, et par les G.M.R. présents. Et de ce fait, personne n’a pu sortir. Il était donc devenu impossible de sortir, ou alors, passer par-dessus les murs, ce qui fut tenté pendant la nuit par des camarades. Au cours de cette tentative un camarade fut tué par un jet de grenade. Cette exaction n’eut pas d’effets, et le lendemain matin à 6 h. les Allemands sont arrivés avec des cannons de 4.28, et menacèrent de bombarder la Centrale si nous nous rendions pas. Ce que l’on a été obligé de faire. L’Inspecteur et le Directeur furent libéré, ils nous promirent qu’il n’y aurait pas de sanctions, mais 3 jours plus tard, 12 camarades ont été fusillés. Ce qui veut dire que le bilan de cette tentative d’évasion, a coûté la vie de 13 camarades de la résistance.


(…) Ma sanction était pour quelques jours après, avec l’arrivée d’une section S.S. de la division DAS REICH stationnée à Montauban. Ils nous ont rassemblés dans la cour de la prison, montés dans des camions, afin de nous emmener à la gare de Villeneuve-sur-Lot, pour nous embarquer dans des wagons à bestiaux. De là, direction Compiègne (nous ne le savions pas à l’époque). Le voyage a duré 3 jours et 3 nuits dans des conditions assez pénibles et bien évidemment, sans boire, sans manger, un voyage excessivement dur. Je dois dire que cela a été pour moi le début de la grande peur. (j’en ai eu d’autres malheureusement). Ce jour là particulièrement : ils nous ont fait monter dans leurs camions - Il faisait un temps splendide, le soleil, les arbres étaient en fleurs, c’était très joli - et nous pensions à ce moment là qu’ils nous emmenaient dans une carrière par-là, où ils nous auraient fusillés, comme ils avaient fait pour certains à Chateaubriand. Mais heureusement, quand nous sommes arrivés à la gare et que nous avons vu les wagons, le moral est revenu et nous nous sommes dit avec la joie au cœur, « Ce n’est pas pour cette fois ».


Le 2 avril au matin j’arrive à Compiègne. Là aussi nous étions enfermés dans un camp, mais tout particulier ! Au milieu du camp central, il y avait un deuxième camp destiné à ce que l’on appelait : « Nuit et Brouillard ». Tous les détenus de la Centrale d’ Eysses furent internés dans ce camp en attendant le départ. La vie ! N’était évidemment pas agréable, la nourriture nous manquait beaucoup, et de surcroît nous n’avions plus aucunes relations avec la famille.
A partir de la Centrale d’Eysses toutes relations avec les familles ont été anéanties. Certains camarades qui purent sauver des bouts de papiers et crayons, «  parce qu’ils y en avaient qui prévoyaient », laissèrent tomber quelques bouts de papier dans les gares où nous passions. Mais nous n’avons pas eu d’échos concernant ces bouts de papiers. Les papiers furent lancés surtout entre Compiègne et Dachau.


(…) Arrivé à Compiègne le 3 avril, nous en sommes repartis le 17 juin 1944. Cette fois là, nous ne connaissions pas la destination. Mais, nous savions tout de même que c’était l’Allemagne. Là aussi, pas de boisson, pas de pain. Les chiens, les S.S. et les soldats de la Wehrmacht, qui pour nous embarquer nous tapaient dessus à coups de crosse afin d’aller plus vite. Le wagon où nous étions était comme le précédent. Nous étions 110, 115 par wagon, d’où l’impossibilité de s’assoir ou de se coucher. La solidarité que nous avions déjà dans la Centrale d’Eysses  continua dans ces wagons. Lorsque l’on montait dans un wagon, on désignait un responsable, afin qu’il fasse régner la discipline. La moitié des détenus était alors assise pendant que l’autre restait debout. Nous alternions nos positions pour un meilleur confort et là en principe tout le monde obéissait. Quand un camarade se trouvait mal en conséquence de la chaleur ambiante et du manque d’air, on le transportait à la lucarne la seule du wagon, pour qu’il respire un peu mieux. Là aussi c’est une question de solidarité et d’entraide. Pourtant les conditions d’hygiènes dans le wagon étaient déplorables, notre sanitaire correspondait à un bidon de 200L. En vous imaginant qu’au bout d’un certain temps il déborde, et que nous n’avions pas les moyens de l’évacuer... ! Durant 3 jours se ne fut pas agréable.


Il faut signaler que nous n’avons pas eu de victimes dans les wagons, sauf lorsque les S.S. tiraient à travers les cloisons. Parce que les possibilité de savoir où nous nous dirigions étaient infimes - ces wagons étaient de vieux wagons en bois qui avaient servi de multiples fois. Nous cherchions à décrocher de vieilles pointes pour faire un interstice dans le bois, entre les planches, pour entrevoir les panneaux signalétiques. Quand les S.S. voyaient passés une pointe, ils tiraient, et celui qui se trouvait derrière était blessé. Mais comme il n’avait pas de soins, il ne tardait pas à mourir ou tué immédiatement. Nous avons eu quelques morts de cette façon. (…) Nous sommes arrivés à Dachau le 20 juin, directement au camp. Sur le quai de gare, des centaines de déportés anéantis par les difficultés du voyage, abasourdis et malades, mais il fallait pourtant se rassembler rapidement en colonne, par rang de 5 bras dessus, bras dessous.


[Pour l’anecdote, je dois dire que j’ai été surpris, mais pas tant que ça quand j’ai vu le nom de Dachau sur la gare. Parce que durant le temps où j’ai été réfractaire, avant de rejoindre le maquis, j’avais lu une brochure où il décrivait le camp de Dachau. Alors pour moi ce fut une surprise, mais cela ne m’était pas inconnu. Il est vrai, que la brochure que j’avais lue, ne traitait pas du camp actuel de Dachau, puisqu’elle datait de 1938, mais du temps ou Dachau était un camp d’internement pour les politiques allemands.]


Pour aller plus vite, les SS tapaient à coups de crosse et les chiens nous mordaient les mollets. Durant le trajet à pied jusqu’au camp, des gamins de 8 et 10 ans nous jetaient des pierres et nous ajustaient avec des fusils de bois en criant « terroristes », « terroristes » !


Lorsque nous sommes arrivés au camp, nous avons été surpris par l’immensité de ces baraques et de la place d’appels. Nous avons été regroupés, sur celle-ci pendant plusieurs heures. Après une douche, nous fûmes rasés des pieds à la tête et revêtus de l’habit rayé, avec un numéro sur la veste à la hauteur de la poitrine et également sur la jambe gauche du pantalon (par la suite on nous a dis que cette salle de douche servait de chambre à gaz. Un Allemand qui était là nous dit « Vous avez eu de la chance, car elle aurait bien pue servir de chambre à gaz »). Au numéro était joint un triangle rouge en aluminium, avec le F (nationalité) au milieu et dans la partie supérieure, le numéro. J’étais devenu le matricule : 73 372. A partir de ce moment se fut la déshumanisation totale, plus de nom. Lorsqu’on était interpellé, il fallait décliner son identité par son n° en allemand. Nous fûmes ensuite rassemblés dans un block (baraquement) où nous étions entassés sur la longueur du block. Pire ! Que dans les camps où nous avons été obligés d’aller travailler, parce que là les châlits se touchaient tous et on était tout allongés à touche-touche.


A ce moment là, nous sommes restés quelques jours à ne rien faire. Nous avons rencontré des internés politiques allemands d’avant guerre. Ce sont eux qui nous ont dit qu’il nous faudrait beaucoup de courage et un moral formidable pour résister à la vie du camp. Puis les gardiens et les kapos firent le tri entre ceux qui pouvaient travailler et les invalides : Les personnes âgées, handicapées ou malades étaient en principe destinées à l’extermination. Seul les jeunes allaient dans les camps de travail. Puis ce fut la quarantaine (à peine 15 jours), avant d’être désigné pour un commando de travail… C’était la sélection ! A l’époque, j’étais ajusteur dans l’industrie métallurgique, mais ne voulant pas travailler je ne me suis pas fait inscrire dans ce secteur d’activité. Je me suis fait inscrire en tant qu’agriculteur en pensant que je me mettrais à faire de la manœuvre. En effet, ils m’ont mi-manœuvre mais dans quelles conditions ! A brasser du ciment et du sable avec la pelle et la pioche. Si j’avais su... J’avais des camarades qui travaillaient à l’usine, ils n’étaient pas nombreux. Regroupés par dizaines dans un atelier à travailler sous le regard d’un kapos, c’était quand même plus appréciable et moins dur que de manier la pioche ou la pelle par tous les temps.


Je fut donc affecté au camp de travail d’Allach à 3 km – ce camp travaillait pour l’usine B.M.W. – et plus précisément au commando Dikerof où j’effectuais des travaux de terrassement et de béton, destinés à renforcer les murs des ateliers de l’usine B.M.W. contre les bombardements américains… Nous étions près d’une centaine à être affectés à ce commando.  Donc voilà, il fallait construire à longueur de journée, même de nuit, car nos semaines de travail s’alternaient. La vie dans ce camp était : levé 4 h, puis passage dans un bâtiment où l’on trouvait un tuyau percé (ou plusieurs tuyaux) de là, sortaient des maigres filets d’eau destinés à nous laver. Nous n’avions ni savon, ni serviettes. Une fois lavé, donc seulement à l’eau, on se rhabillait avec nos vêtements plein de poux et de punaises, et au retour, ils nous donnaient le petit déjeuné : 50cl d’eau noirâtre appelée café, il paraît que c’était fait avec des glands séchés, pourquoi ? Je ne sais pas mais, c’était chaud ! Ils nous donnaient notre morceau de pain. Je ne me rappelle pas le poids, tout simplement parce que je ne l’ai jamais su, mais c’était un carré de 15 mm d’épaisseur, plus une barrette de margarine, grosse comme le pousse ou 2 cuillerées de marmelade, confiture. C’était ça le matin. A midi, une soupe faite avec des épluchures de pommes de terre. Des fois avec des feuilles de betteraves, des feuilles de choux, même des feuilles d’orties. Rarement, mais que rarement des céréales. Une espèce de millet. Le soir vers 7 h. une soupe aussi, après l’appel du soir. Des appels interminables, sous la pluie et la neige.  Comme ustensile nous avions uniquement, une cuiller et notre gamelle, qui ne fallait surtout pas perdre. Pas de gamelle pas de soupe !


(…) Certains camps étaient appelés camps d’exterminations, parce qu’on faisait passer les déportés à la chambre à gaz ou au four crématoire ! Mais nous c’était par le travail ! Parce qu’au bout d’un certain temps, en conséquence de ce régime, on ne tenait plus debout ! Il y avait également les maladies : la tuberculose, la dysenterie surtout, mais aussi le typhus qui exerça des ravages.... Les gars malades qui crachaient le sang, travaillaient jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus se lever de leurs châlits. Il fallait donc les transporter au revier, à l’infirmerie. C’était pire, en plus du brouhaha, la ration quotidienne était diminuée, et ils n’avaient aucuns soins. Il y avait pourtant des Docteurs, mais ils leur prodiguaient seulement que de bonnes paroles ! Ils n’avaient pas les moyens de nous soigner. C’était le mouroir, mais dans quelles conditions ! Il fallait voir ça : ceux qui avaient la dysenterie faisaient leurs besoins partout ! Aucuns moyens de nettoyer. Le camarade encore « fort », se déplaçait ! Mais… ! Oh ! C’était affreux le revier. Affreux !


(…) Nos relations entre déportés étaient aléatoires en particulier avec les Polonais qui ne nous aimaient pas. Pour quelle raison ? Pour beaucoup c’était politique, parce qu’en 1939 la France n’avait pas fait le nécessaire pour les protéger. De plus, parmi eux se trouvaient des Droits Communs, ce qui n’arrangeait pas nos relations (les Allemands avaient déporté les gens de prisons). Les Droits Communs en France comme à la Centrale d’Eysses, n’ont pas été déportés. Avec les autres nationalités, cela pouvait aller. J’ai vécu durant un mois dans un bloc de 200 Russes, nous nous ne comprenions pas, mais je n’ai pas eu de problèmes. Il fallait tout de même rester sur ses gardes, en particulier pour la nourriture.  Car le vol de pain était fréquent, on avait intérêt a ne pas laissé traîner son morceau ou même de le cacher sous sa paillasse… ! Il n’y avait pas d’autres vols, parce que nous ne possédions rien !


(…) La discipline du camp était assurée par les Kapos (des détenus de droit commun). Ils se vendaient aux Allemands pour une soupe, pour un régime de faveur. Ils avaient droit de vie et de mort sur les déportés, ils étaient armés avec ce que l’on appel une schlague, c’est-à-dire une matraque, et à chaque instant, pour trois fois rien ils pouvaient nous taper dessus, parce qu’on ne leur plaisait pas, parce qu’on avait un mot défavorable à leur égard, c’était le matraquage systématique. C’était eux qui assuraient la discipline dans le camp et au travail. C’était eux qui nous accompagnaient au travail, évidemment sous la surveillance des S.S., mais nous avions à faire aux Kapos. Les S.S. intervenaient pour des causes exceptionnelles, pour des punitions collectives à l’intérieur du camp et pour les appels.


(…) Des coups j’en ai reçu quelques fois. Parce que voyez-vous, lorsqu’il fallait partir au travail, il fallait se rassemblait assez vite. C’était toujours eux du reste, qui nous rassemblaient. On se rangeait par rangée de 5, on cherchait toujours à se mettre dans la colonne du milieu, dans les colonnes intermédiaires, surtout pas dans les colonnes extérieures, car c’est là que les Kapos pour nous rassembler, matraquaient. A deux reprises - j’en ai eu d’autres coups - les plus marquantes subi, c’est au travail. Pour je ne sais quelle cause, le Kapo s’est approché de moi et m’a dit quelque chose en Allemand, quelque chose que je n’ai pas compris et il m’a donné un coup de schlague derrière le crâne, ce qui m’a mis évidemment mis cahot, je suis tombé et je me suis réveillé au bout d’un certain temps. Mes camarades m’ont dit « Tu aurais dû sortir les mains de tes poches ». J’aurais dû sortir mes mains de mes poches quant-il me parlait et c’est pour cela que j’ai reçu un coup. Une autre fois, j’aurais du faire une corvée dans un camp de travailleurs du S.T.O. qui avait été évacué. Il fallait charger des meubles, et au retour, ils nous avaient rassemblés, et là aussi je me trouvais sur la colonne extérieure. Dans l’herbe, il y avait des pissenlits, je me suis baissé pour en ramasser une poignée, parce que c’est mangeable ! Le Kapos est arrivé avec sa schlague et m’a mis un coup sur la tête, j’étais cahot ! Sans compter les nombreuses autres fois, où les S.S. remplaçaient les kapos. Ils tapaient sans rimes ni raisons, souvent parce que l’on marchait écarté des autres.


(…) Pour anecdote : un matin en marche vers le travail, notre colonne passe sous la porte du commando, je me trouvais à l’extérieur. Suffisamment large pour un bon passage et une bonne surveillance, on y postait un Allemand, avec fusils et chien. Devant moi, un déporté - je ne savais pas sa nationalité, il me tournait le dos – notre gamelle, accrochée par une ficelle à notre pantalon ne devait jamais tomber ou disparaître, mais à cet instant là, sa ficelle glissait du trou, et la gamelle tombait à terre. Evidemment le premier réflexe du déporté, c’est de ramasser sa gamelle, mais lorsqu’il s’est baissé, le chien lui a bondi dessus comme une bête, l’a attrapé derrière la nuque et l’a tiré sur le côté. Je pense qu’il lui a brisé les vertèbres cervicales, nous ne pouvions pas rester, il fallait continuer et on continuait à marcher. J’ai cherché à regarder mais, il ne bougeait plus. Nous ne l’avons plus jamais revu. Je pense qu’il a été tué par le chien. Oui ! Car en discutant entre nous, nous avons su que les chiens étaient dressés, et ce mouvement brusque, involontaire de la part du déporté, était anormal pour le chien, c’était un geste anormal pour lui, alors qu’il regardait les gens passés. Ils étaient conçus pour ça. D’ailleurs, pour aller au travail ils étaient toujours derrière la colonne, derrière celui qui portait les bouteillons - lorsque l’on allait travailler, on apportait la soupe pour midi - pour les faire avancer, puisqu’ils traînaient souvent la jambe, les bouteillons étaient lourds, ce n’était pas facile ! Alors bien évidemment les chiens étaient là ! Mais, je n’ai pas connu d’accidents. Mais au travail, j’ai vu un S.S. qui pour je ne sais quelles raisons, a lancer son chien sur un déporté. Le chien lui sauta à la gorge, il l’a abattu, et moi je... ne pouvais pas rester là, et je ne sais pas ce qu’il est advenu. C’était sur le chantier du Dikerof.


(…) J’ai subi également les punitions collectives, au moins à trois reprises, dont deux, dont je me rappelle les raisons. La première : au retour du travail avec le commando russe auquel j’appartenais- on appelait également commando l’équipe qui allait au travail - nous nous laissons réunir par les kapos qui procèdent à l’appel. Au même moment le chef kapos du camp s’entretient avec un déporté, qui réagi en lui fichant un coup de poing, évidemment les autres kapos lui tombent dessus et lui mettent une belle volée. Ca n’a pas suffit ! Lorsque nous sommes arrivés au camp, nous resubissons l’appel, puis la « punition collective ». Rassemblés sur une autre place, les S.S. entrent avec leurs chiens et les kapos.  Il a fallu ramper, marcher à quatre pattes, à genoux. Enfin tout un tas de mouvements qu’il fallait exécuter le plus vite possible sous leurs yeux, et cela durant 1H. A bout de force, quelques-uns tombaient, ceux-là étaient mis de côté. Certains partaient pour le revier, tellement épuisés et n’en sortaient pas. C’était ce que l’on appelait la « pelote », il paraît que cela se faisait dans l’armée française, avant guerre.


La deuxième fois, tout le block a été puni parce qu’au cours d’une journée, ceux qui étaient chargés de l’entretien du block, avaient changé les paillasses, mais certaines faites de copeaux de bois (des tas poussière) s’étaient vidées devant la porte. Les copeaux n’avaient pas été ramassés et quand le chef de block est arrivé, il a ordonné une punition collective. Je pense que s’il a agit comme cela, c’est parce qu’il a dû demander qui était l’auteur, et comme personne n’a dû ce dénoncer, alors tout le block a été puni. Elle fut la plus importante du camp.


(…) Il y avait d’autre type de sanction, la schlague notamment. On nous mettait sur un chevalet, on nous bloquait les jambes, puis on nous frappait avec des matraques, pour différentes raisons, tentatives de sabotage ou autres. Il ne fallait pas faire grand chose ! On pouvait être condamné à 20 ou 30 coups de schlague, et chaque chiffre ou nombre de coup devait être dit en allemand. Seulement beaucoup de français et étrangers ne connaissaient pas cette langue, il arrivait donc que l’on ne puisse plus rien dire. A ce moment là le kapos redoublait ses coups, jusqu’à ce que le déporté dise le chiffre exact. Et comme ce n’était pas toujours facile, il arrivait que le déporté soit blessé, au niveau des fesses : hématomes et blessures très graves ! Lorsqu’il arrivait au revier et qu’il n’y avait plus de moyen pour le soigner, il périssait.  Il existait une autre punition, mais je ne l’ai pas connue, celle du cachot, l’équivalent du placard. Il fallait que le déporté reste debout, pendant 48H. Epuisé, il s’affalait sur ses jambes. Pour plus de destruction morale, les SS donnaient à manger aux chiens dans la cour du cachot. A la hauteur des yeux, une lucarne, d’où le détenu pouvait voir les chiens manger sous son nez. Evidemment ce n’est pas dangereux, mais le moral chutait d’un coup, en plus être enfermé...


(…) J’ai également assisté à plusieurs fois exécutions. Quand nous arrivions du travail, les potences étaient dressées sur la place d’appel. Les déportés étaient pendus aussitôt l’appel fait, devant tout le camp réuni. Ces condamnations faisaient suite aux tentatives de sabotages à l’usine, d’évasions. Il y avait parfois, un, deux, trois pendus. Le maximum que j’ai vu, c’est six, pendus le même jour. Et les Allemands s’évertuaient à lire une sorte de serment, que nous ne comprenions pas. Mais là je parle du camp d’Allach, parce qu’à Dachau les exécutions étaient plus importantes, comme celle des 50 officiers russes. Il y a eu l’exécution du Général DELESTRAINT, chef de l’Armée Secrète en France. Il y en a eu beaucoup d’autres qui furent fusillés ou pendus. Le camp où je me trouvais pratiquait peu les pendaisons, cela arrivait tous les deux mois, même pas. Ce n’était pas régulier. Je ne peux pas dire le chiffre exact, mais je peux dire le chiffre maximum par exécutions : c’était six d’un coup ! (…) Mais pour moi les appels étaient identiques aux punitions. Ils étaient nombreux, afin d’éviter les évasions. Le matin, tous les blocks étaient rangés sur la place d’appel. Le chef de block accompagné des officiers S.S., passait rapidement en revue les déportés qui devaient annoncer leur matricule. On était rangé par dix pour que l’on soit vite contrôlé. S’il en manquait un, l’appel duré jusqu’à ce qu’on le retrouve. Les morts de la nuit devaient être présents à l’appel pour qu’ils soient comptés. On les portait sous nos bras. Le chiffre du matin devait être le chiffre de la veille. Parce que la veille il y avait l’appel général de tout le camp. Il y avait bien entendu d’autres appels : ceux du départ pour partir au travail, l’appel à l’arrivée au travail, l’appel à la distribution de la soupe, l’appel après avoir mangé la soupe, l’appel au départ du lieu de travail, et l’appel général à l’arrivée au camp. Il arrivait qu’il puisse y avoir un appel spécial à l’arrivée au camp. j’en ai subi les conséquences parce que les sacs de ciment durant l’hiver 44-45 qui était excessivement froid sur le plateau de Bavière, ont servi à nous protéger du froid et du vent. On découpait le fond et les côtés du sac, pour les mettre entre la chemise et la veste. Or les Allemands ne supportaient pas ça.


En arrivant au camp ils nous regroupaient pour l’appel et nous faisaient déshabiller totalement pour contrôler si nous n’avions pas ces sacs de ciment sur la peau. Comme toujours ils trouvaient quelqu’un qui en avait, et là, ils nous faisaient attendre 1H dans 30 cm de neige, avec des températures qui atteignaient -15 C°.  On se demande encore comment l’homme peut tenir dans de telles conditions. Beaucoup tombaient ! Ils étaient mis de côté, sur de la paille, en attendant d’être transporté au revier. Pourquoi résistait-on ? Je ne sais pas ! Ca paraît extraordinaire ! Nous avons subi ce traitement, au moins 4 fois. Pour moi se fut le traitement le plus pénible que j’ai pu subir durant mon séjour dans ce camp. Quand on était là dans la neige, pieds nus, c’était absolument terrible ! On pouvait la sentir tomber délicatement sur nos oreilles, elle s’entassait et le vent glacial l’empêchait de fondre. Et puis voir les copains tombés sans qu’on ne puisse rien pour eux, parce qu’on nous interdisait de bouger, ça n’a pas de mots !


(…) J’avais avec moi un camarade d’enfance, nous avions même été élevés ensemble. Nous avions été à l’école primaire ensemble, nous nous sommes jamais quittés durant notre jeunesse. Quand nous sommes partis au maquis, c’était encore ensemble. Nous avons fait les prisons, les centrales, les convois ensembles. Il a été affecté à Allach, pour un travail d’usine. Mais il n’a pas pu tenir le coup. Malade, il crachait le sang. Tous les soirs il montait en température, que nous ne pouvions pas évaluer ! Le matin il avait d’énormes difficultés pour aller à l’appel, on le traînait au travail, ça n’a pas duré. Un jour il n’a pu se lever. On l’a emmené à l’infirmerie - au revier - où il est décédé 8 jours avant l’arrivée des américains.


J’allais le voir le soir en arrivant du travail, en me cachant parce que le revier était interdit pour les personnes non malades. Je le voyais par la fenêtre, j’essayais, comme on faisait à tous les camarades, de lui remonter le moral en lui disant « Attend ! » et c’était vrai « le canon approche, il y en plus pour longtemps, tu vas voir. » Mais il avait perdu totalement le moral. Il me disait « Non, non. Je n’y arriverais pas, c’est la fin. » Lorsqu’il est décédé, les camarades de son block m’ont caché la vérité durant 3 jours. Ils savaient les liens qui nous unissaient, ils ne voulaient pas me le dire de peur que ça me traumatise. Un soir en arrivant du travail, je dis « je vais aller voir Louis BOURRIER» et ils m’ont dit « Oh ! Non. Ce n’est plus la peine ça fait 3 jours qu’il est mort. » Ce fut un choc très dur... (…) Nous étions solidaires. La solidarité était pour nous quelque chose de très important. Elle se traduisait surtout par une aide psychologique. Lorsque l’on sentait qu’un camarade flanchait, qu’il avait des idées trop noires, on se mettait à plusieurs et on essayait de lui redonner le moral, en lui disant « Il faut que tu tiennes le coup... », et tout un tas d’autres choses. Il y avait aussi la solidarité matérielle. C’est peut-être un bien grand mot, parce que cela ne représentait pas grand chose - solidarité matérielle et morale - Sur le petit bout de pain qu’ils nous donnaient, on coupait un autre petit bout qui représentait disons, le bout du gros pouce. Alors un petit bout ce n’est pas grand chose, mais quand on est 10, 12 et que l’on donne ensemble à ce copain qui est faible, ça ne fait pas beaucoup mais ça l’aide un peu physiquement, mais surtout moralement... C’est ça la solidarité. Une solidarité qui était vraiment effective surtout entre français et plus particulièrement avec les copains de la centrale d’Eysses.


(…) Cette solidarité pouvait nous permettre d’avoir des informations sur l’extérieur ! Comme dans tous les camps importants, la résistance clandestine s’organisait. Des gens se rencontraient, écoutaient la radio, évidemment bien cachée, obtenaient des renseignements sur l’avancée des troupes soviétiques, et Alliés - notamment américaine. A ce sujet, une anecdote : lors de l’offensive allemande dans les Ardennes en hiver 44 qui avaient fait reculer de plusieurs kilomètres les Américains, fit aussitôt su ! Les répercutions sur notre morale furent terribles pour nous. On était au bord du désespoir. On savait que cela allait retarder notre libération. Parce que nous attendions toujours la libération ! Nous savions que depuis le débarquement les Américains avançaient, avançaient... Ils étaient rendus dans les Ardennes, la frontière allemande si l’on peut dire. Alors on les voyait déjà rendu en Allemagne. Mais cela a retardé notre libération de quelques mois ! Or plusieurs mois pour certains... C’était devenu quelque chose d’épouvantable. Certains ne pouvaient pas tenir 3 mois de plus, comme mon camarade. S’ils étaient arrivés 1 mois plutôt, c’était bon. Je pense qu’il est mort de la tuberculose, parce qu’il crachait du sang. Il aurait pu être soigné, parce qu’à cette époque cette maladie se soignait. Malheureusement ça n’a pas été le cas.


(…) Mais j’ai su garder espoir. J’ai eu confiance. En quoi je ne sais pas et je ne sais pas pourquoi, je ne me l’explique pas, je suis pourtant athée, je ne crois en rien ! Pour beaucoup la religion était importante. J’entendais les gens en parler, faire des prières et autres rituels, ça les aidé beaucoup. Non, moi je suis athée, je ne crois pas. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai eu confiance et pourquoi pas d’ailleurs ! (…) J’ai été libéré le 30 avril au matin. Dachau avait été libéré la veille au soir. Nous entendions la bataille depuis bien longtemps : les coups de feu des mitrailleuses, les canons. Le 29, nous avions entendu la libération de Dachau. Le soir nous étions rentrés dans nos baraquements comme d’habitude, les sentinelles étaient encore dans les miradors. Et comme il était interdit de sortir, mais nous sommes sortis quand même, parce que la porte du block s’ouvrait. La sentinelle s’est mise à tirer et ne voulant pas risquer… nous sommes sortis seulement au matin, à 4h. Le silence était total. Pas de cris pour faire sortir les gens des blocks... Rien ! Alors nous avons attendu le levé du jour. Lorsque nous sommes sortis, les sentinelles avaient disparues de leurs miradors. Qu’est ce qu’il s’était passé ? Nous savions bien sûr que les Américains n’étaient pas loin, mais ! Quelques camarades franchirent la porte et partirent voir dans les miradors, dans les baraquements où se trouvait l’administration S.S., ils n’ont vu personne. Seulement les uniformes laissés à l’arrache. Ces soldats avaient certainement trouvé des vêtements civils, avec lesquels ils se sont habillés pendant la nuit pour partir, ce qui faisait de nous au matin, des hommes libres.


(…) Même certains kapos avaient fui, oui ! Pas tous parce que beaucoup l’ignoraient. Seuls les chefs, les principaux, étaient partis. Les S.S. les avaient avertis. Malheureusement les kapos restant ont payé cher. Plus tard - non tous sortis - nous avons vu arriver le long de la route (de Dachau - Munich, route très importante), des silhouettes. Inquiets ! Nous sommes parvenus à définir que c’était des soldats américains. Ils étaient en actions. Ils avançaient fusil en main, c’était des Francs-Tireurs. De là, nous nous sommes mis a crier et crier encore... Ils ont fini par se diriger vers nous... Nous fûmes pour eux une surprise colossale. Ils étaient une dizaine. Ils ne connaissaient en rien Dachau et la vie concentrationnaire. Sans recul, ils sont entrés dans le camp et découvert l’horreur ! Ils nous donnèrent quelques barrettes de chocolats et cigarettes – moi, je me trouvais à côté d’eux - puis ils sont repartis, ils ne pouvaient rien faire et devaient continuer le combat à Munich. Plus tard dans la journée, l’administration américaine et les soldats sont venus prendre possession du camp. Nous étions devenus des hommes libres ce jour là. Ils ont permis aux groupes de corvées d’aller chercher du ravitaillement dans les entrepôts de la BMW - l’usine – pour que l’on puisse enfin manger. Le lendemain ils fermaient le camp. Impossible de sortir. La cause, le typhus. Ils nous ont donc mis en quarantaine et désinfecté. Personne ne devait sortir. Quelques camarades ont essayé de fuir, mais ils furent tués par les sentinelles. Je connaissais un savoyard qui s’était fait tué en voulant s’évader. Quelques-uns ont réussi, dont un de mes camarades, de mon groupe, Emile ROUZAT « Mireille ». C’est lui d’ailleurs qui a averti le premier ma famille. Il est parti à l’aventure, comme ça ! Je ne sais pas comment il s’est débrouillé, mais il est parvenu à rejoindre l’armée française, qui l’a rapatrié. Quand il est arrivé à Strasbourg, il a télégraphié à ma famille que j’étais vivant. C’était les premières nouvelles qu’elle obtenait de moi.


(…) Pendant ce temps les Américains installaient des toiles de tentes de désinfection près du camp. Nous devions rentrer d’un bout en se déshabillait, les vêtements devaient alors être mis systématiquement au feu. On passait tout nu sous les douches et eux, nous aspergeaient de D.D.T. Puis ils nous rhabillaient de vêtements propres. Il fallait bien entendu éviter de revenir dans les blocks à cause de la vermine. Nous avions installé nos couvertures en forme de toiles de tentes ! Nous couchions dessous, avec la gamelle à côté, pleine ! Parce que nous ne pouvions pas manger tout ce qu’il y avait dedans ! Ils nous donnaient des pleines gamelles, d’ailleurs certains camarades sont morts à cause de ça ! Nous préférions donc la laisser à côté de nous. Nous restions couchés là, à manger quand on voulait, cela pendant 1 mois donc. On avait même repris quelques kilos...


(…) Je n’ai pas parlé des fosses communes, c’est quelque chose ! Il n’existait pas de fosses à Allach mais à Dachau oui ! Tous les matins il y avait ce que l’on appelait « le mort express ». C’était un chariot à 4 roues où l’on mettait les cadavres de la nuit et ceux de la journée - quelques fois – que l’on devait transporter le soir. Ces cadavres, ils les transportaient à Dachau pour le four crématoire. Mais vers la fin, celui-ci ne suffisant plus, des charniers ont été creusés pour entasser les cadavres. D’ailleurs le camarade dont je parlais tout à l’heure - il y a maintenant 2 ans et demi 3 ans que je sais finalement ce qu’il est devenu. Je pensais, moi ! Qu’il était passé au four crématoire, et bien non ! L’administration du camp, une administration du tonnerre (c’est ce que les Allemands avaient de bien), n’a pas décidé de le passer au four crématoire, elle l’avait placé dans un charnier, mais lequel ? Nous n’avons jamais pu le retrouver. Pourtant, des enquêtes furent menées, les gendarmes étaient même venus me voir pour me soustraire des informations et renseignements.


(…) Nous sommes donc partis après un mois de quarantaine en camion jusqu’au Lac de Constance sur l’île de Rèchenau, où nous sommes restés une huitaine de jour. C’est la 2ème D.B. qui nous a emmenés là-bas. Les Américains sont restés seulement une dizaine de jour pour régler l’administration du camp, et encore... L’armée française était venue les relever assez vite. Dès leur arrivée, le Général Leclerc est venu nous rendre visite. Je me rappel d’ailleurs lorsqu’il est arrivé dans le camp ; une anecdote : quand il est arrivé à l’intérieur, un homme s’est jeté sur lui avec une seringue, il lui a ouvert sa braguette et l’a aspergé de D.D.T. ainsi qu’au col de sa chemise. Une fois sur le Lac, ils ont procédé au contrôle d’identité de tous les déportés et distribué des cartes de rapatriement ! Ils fallaient qu’ils contrôlent si un tel était passé à Dachau. Car un S.S. aurait bien pu se mêler aux déportés et cela c’est produit ! Une fois fait, nous sommes repartis. Au cours du trajet nous sommes passés par Mulhouse où nous avons eu un arrêt sanitaire : des radios, un petit bilan de santé. De Mulhouse nous sommes rentrés à Paris où nous avons séjourné à l’hôtel Luthétia. J’avais reçu un message d’ailleurs. On me demandait de rejoindre une cousine qui travaillait à Paris à l’O.R.T.F. Elle savait que j’avais été déporté.

Après ma libération, quand j’ai pu écrire, puisque l’armée et l’Etat Major avaient fait le nécessaire de signaler à ma famille par télégramme que M. DOGNETON était libéré et en bonne santé. Donc, puisque ma cousine savait que tous les déportés passaient en général par l’hôtel Luthétia, elle laissa un message et un numéro de téléphone. Je l’ai donc appelé et dans les dix minutes qui ont suivi elle était là ! Elle m’a emmené chez ses parents n’étant pas mariée à l’époque, et j’ai rejoint Angoulême par la suite.